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Les suspects obligés de payer pour être libérés

Menacé, torturé, gardé à vue avec des accusés pendant cinq jours à la brigade de gendarmerie de Pk 14 à Douala, Benjamin Ndongo dit avoir versé une somme d’argent pour recouvrer la liberté. Ce qu’interdit le code de procédure pénale.

Mon grand frère qui vit en Europe m’avait envoyé de l’argent pour acheter une maison d’une valeur de douze millions de FCFA. J’ai contacté des démarcheurs qui m’ont trouvé une maison. La vente devait se passer devant notaire. Mais, on a constaté que les démarcheurs étaient des bandits parce que le notaire a dit que cette maison n’était pas en vente. Alertés, les éléments de la brigade de Pk 14 ont interpellé les gars. A ma grande surprise, le commandant m’a fait aussi arrêter au prétexte que j’avais beaucoup d’argent. Ils m’ont gardé dans la cellule des gars, m’ont giflé et menacé de m’envoyer en prison“, raconte Benjamin Ndongo.

“Suspects, vaches à lait”

Au cinquième jour de détention, pendant que les accusés sont transférés en prison en ce matin du mois d’août 2011, Benjamin, affaibli, se résout à se plier aux exigences des forces de maintien de l’ordre. “Le commandant disait qu’on devait lui donner sa part d’argent, que j’ai un frère qui joue au ballon. C’était du harcèlement. Je leur ai donné 150.000 FCFA pour qu’ils me laissent“, précise-t-il. L’argent, c’est ce qui a manqué à Arnaud Nloutsiri. Après avoir heurté par mégarde un véhicule personnel, ce chauffeur de taxi a été interpellé, puis gardé à vue pendant six jours au commissariat de la gare ferroviaire de Douala. “Le propriétaire du véhicule mettait la pression sur les policiers pour que j’accepte de réparer à mes frais la partie détruite de la Mercedes. J’ai dit qu’il n’était pas question que l’argent sorte de mes poches alors que j’ai souscrit une assurance. Mon oncle a accepté de donner de l’argent pour la tôlerie, voilà comment j’ai finalement été relaxé après six jours“, explique le chauffeur. Sous la pression de certains puissants personnages ou pour arrondir leurs fins de mois, certains membres des forces de l’ordre gardent des suspects en cellule au- delà de la période légale. Une pratique récurrente dans les unités de police et de gendarmerie de Douala qui ne surprend pas dans ce corps de métier. “On ne peut nier que certains collègues ont transformé des suspects en vaches à lait. C’est dommage. Mais, il faut qu’ils sachent qu’ils s’exposent ainsi à des sanctions lourdes si les faits sont avérés“, prévient, sous anonymat, un commissaire de police.

“Visites inopinées”

Des agents véreux sont en effet régulièrement suspendus ou révoqués de leurs fonctions à cause des manquements à la déontologie. Malgré cela, les abus foisonnent. Les victimes aussi. En novembre 2011, Clément Madjong, un paysan, a été brutalement interpellé par des éléments de la brigade de gendarmerie d’Ebone pour avoir réclamé son reliquat dans un bar. Après avoir passé cinq jours menotté en cellule, il a été présenté au procureur qui l’a déclaré non coupable plus tard. En décembre de la même année, un autre suspect menotté a rendu l’âme dans une cellule de la brigade de Ngangue après dix jours de garde à vue. De pareils abus auraient pu être évités si les agents n’avaient pas expressément ignoré la loi. En effet, le code de procédure pénale dispose dans son article 119 alinéa 2 que “le délai de garde à vue ne peut excéder quarante-huit heures renouvelables une fois”. Toutefois, “sur autorisation écrite du procureur de la République, ce délai peut, à titre exceptionnel, être renouvelé deux fois. Chaque prorogation doit être motivée”. Benjamin a été victime d’une garde à vue abusive à l’insu du procureur de la République. Son sort dépendait du commandant de la brigade qui a cessé de le torturer moyennant de l’argent. Les gardes à vue abusives inquiètent les défenseurs des droits humains qui avancent des idées pour en réduire la fréquence. “C’est au quotidien que les gens dénoncent cette pratique, mais rien n’est vraiment fait du côté des autorités. Pour décourager les auteurs de ces abus, il faut que les procureurs ou leurs substituts effectuent régulièrement des visites inopinées dans les cellules et que les coupables soient punis“, suggère Jean Tchouaffi, président de l’Association des droits des jeunes.

Christian Locka (JADE)

Les articles sont produits avec l’aide financière de l’Union Européenne. Le contenu de ces articles relève de la seule responsabilité de JADE Cameroun et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l’Union Européenne.

Les déficiences des prisons du Cameroun dénoncées

Les descentes dans les prisons de Douala, N’Gaoundéré et Bamenda, sous l’égide du projet “Dignité en détention”, ont mis en lumière les déficiences du système carcéral camerounais : surpopulation, recours à l’enchaînement, pratique de la torture…

Faute d’avoir pu s’acquitter d’une amende de 33700 FCFA fixée par le juge du Tribunal de grande instance du Wouri, Valentin Bilaï, un détenu de 27 ans, a écopé d’une contrainte par corps. Autrement dit, condamné en juin 2011 à 24 mois d’emprisonnement pour viol, il a finalement purgé 6 mois de détention en plus. “Mon père n’est plus venu me rendre visite depuis mars 2011. Où aurais-je pu trouver cet argent?”, s’interroge-t-il. Vêtu d’une chemise qui laisse entrevoir une peau recouverte de gale, le jeune homme n’a même pas de quoi acheter une pommade pour se soigner. Comme Valentin, plus de 1 200 détenus “vulnérables”, ont été identifiés par Avocats sans frontières (ASF) France, au cours de visites effectuées dans des prisons camerounaises. Ce sont des femmes, des enfants, des indigents, des personnes âgées ou des malades. Ces descentes en milieu carcéral s’inscrivent dans le projet “Dignité en détention”, mis en œuvre par ASF France et le barreau du Cameroun, grâce à l’appui financier de l’Union européenne. Il a été lancé en novembre 2011 à la prison centrale de Douala. Celles de Ngaoundéré et Bamenda ont également été visitées. “Dignité en détention”, qui met l’accent sur la formation des acteurs du système judiciaire et l’assistance judiciaire, vise à faire respecter les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Trop de prévenus en prison

Le but de ces visites est de voir les conditions de détention pour faire ensuite des recommandations au gouvernement. Cela a permis de relever les abus de la contrainte par corps : plus de 450 détenus restent en prison à Douala, Ngaoundéré et Bamenda. “C’est inadmissible qu’on demande aux gens qui purgent leur peine en détention, de payer 20.000 à 30.000 FCFA d’amende, alors qu’ils n’ont pas d’argent”, dénonce Prosper Olomo, coordonnateur du projet au Cameroun. “L’Etat est perdant car il doit loger, nourrir et soigner des personnes qui auraient dû être libérées”, poursuit-il, recommandant au gouvernement d’instituer les travaux d’intérêt général, pour permettre aux détenus de travailler hors de prison et de régler leurs amendes. Autres problèmes mis en avant par ASF France : le nombre très élevé des prévenus en prison. Ils sont deux à trois fois plus nombreux que les condamnés dans les geôles camerounaises. A Douala, 2 200 des 3.000 détenus sont en détention préventive. Ils sont 300 sur 450 à Bamenda et 500 sur 800 à Ngaoundéré. ASF France met en cause le recours systématique à l’emprisonnement.
Les gens sont envoyés en prison quand bien même ils présentent des garanties comme par exemple, un emploi ou un domicile”, dénonce Prosper Olomo. Le droit minimum au logement n’est pas respecté. A Douala, près de 500 détenus dorment dans la cour. Ceux qui couchent dans les cellules ne sont pas mieux lotis, le taux de surpeuplement dans certains dortoirs étant de 300 %. Conséquence: “des gens dorment entassés comme des moutons, parce qu’une cellule, prévue pour 50 personnes, en abrite 150”, affirme le coordonnateur du projet.

Des prisonniers enchaînés

La situation est bien plus grave à la prison centrale de Bamenda, où un détenu sur neuf est enchaîné pour cause d’indiscipline supposée. Certains prisonniers doivent mettre des chaussettes et des chiffons pour atténuer la douleur provoquée par les menottes et les fers. Une violation au droit des prisonniers que dénonce Prosper Olomo. “L’enchaînement est proscrit”, rappelle-t-il, suggérant d’utiliser, en guise de punition, l’enfermement dans les cellules d’isolement ou la suspension des visites pendant un temps déterminé. Une démente, qui cohabite avec les détenus, subit le même sort, alors qu’elle aurait dû être internée dans un centre hospitalier approprié. Autre anomalie grave : des centaines de détenus restent enfermés plusieurs mois après leur libération car la décision de justice ne leur est pas parvenue. “Nous avons transmis les listes des détenus concernés aux présidents des tribunaux afin qu’ils délivrent ces documents”, explique le coordonnateur du projet. Enfin, la loi sur les avocats commis d’office n’est pas respectée, donnant lieu à de nombreux abus au cours de l’enquête préliminaire. “Faute de conseil pour veiller sur leurs droits, les gens signent le procès – verbal alors qu’ils ne savent ni lire, ni écrire. Pourtant, l’officier de police judiciaire (OPJ) y rédige parfois des déclarations autres que celles tenues par le gardé à vue. Ces notes lui seront par la suite préjudiciables pendant les audiences de jugement”, dénonce Prosper Olomo. Plus grave encore, les OPJ n’hésitent pas à pratiquer la torture pour arracher des aveux. “Soupçonnée de vol de téléphone portable, une détenue de la prison de New Bell a été bastonnée. Les coups de machette sur la plante des pieds est aussi une pratique courante dans les prisons des grandes villes”, conclut le coordonnateur du projet.

Anne MATHO (JADE)

Le téléphone sonne à la prison de New Bell à Douala

Malgré son interdiction au sein de la prison, des détenus utilisent le téléphone portable pour demander un soutien familial, judiciaire, ou développer une activité commerciale. A leurs risques et périls…

Assis dans un coin de la prison, Ibrahim cache avec soin son téléphone portable. De temps à autre, des détenus s’approchent de lui et, après quelques secondes de causerie, les deux hommes se retirent dans un endroit calme de la prison où le premier donne au second son téléphone portable afin qu’il puisse passer un appel. Le prix de la minute est de 100 FCFA. Cinq minutes plus tard, les deux hommes sont de retour. La scène se répète plusieurs fois dans la journée. Bien qu’interdits au sein de la prison centrale de New Bell à Douala, les téléphones portables y foisonnent. Attirés par l’argent, certains détenteurs vendent des communications à leurs compagnons qui veulent joindre leurs proches ou leur avocat. “J’appelle souvent mes parents pour leur demander un médicament si je suis malade, ou de l’argent quand je n’en n’ai plus“, explique Pascal qui vient de passer un appel. D’autres détenus contactent leur avocat pour lui demander de venir à la prison étudier leur dossier et définir la stratégie à adopter le jour du procès. D’autres, comme Bruno, appellent l’extérieur “pour obtenir une aide financière afin d’être libéré“.

Sanction lourde

Devant l’usage de plus en plus courant du téléphone portable en prison, les réactions sont contradictoires. Selon Maître Madeleine Nsali Mbebi, défenseur des droits de l’homme, “la communication des détenus est permise et les détenus utilisent souvent le téléphone pour communiquer avec leurs avocats ou leurs familles et connaissances“. “L’usage du téléphone portable par les prisonniers est interdit au sein de la prison centrale de Douala“, affirme, au contraire, un garde- prisonnier. Il précise : “Tout détenu saisi en possession d’un téléphone portable, se le voit confisquer. Il est alors conduit en cellule disciplinaire“.
Un cachot obscur où il va croupir trois ou cinq jours à se disputer, avec ses compagnons d’infortune, la lumière du jour qui passe par un unique trou d’aération. Une sanction lourde qui ne décourage pas pour autant les prisonniers. “Lorsqu’un garde-prisonnier nous saisit, si on peut négocier, on n’hésite pas à le faire. Lorsque ce n’est pas possible, nous sommes sanctionnés et envoyés en cellule disciplinaire, explique Pascal. Et nous recommençons car il s’agit pour nous de survivre à l’incarcération.”

Un commerce juteux

Pour les propriétaires de téléphone portable, l’opération peut rapporter quelques francs. “Je vends la minute à 100 FCFA quelque soit l’opérateur ; que ce soit MTN ou Orange. La minute à MTN me revient à 60 FCFA et celle d’Orange, à 69 FCFA. Donc, je gagne 40 FCFA ou 31 FCFA par minute d’appel en fonction de l’opérateur choisi“, indique Honoré, un détenu qui fait de la cabine téléphonique mobile “call box”. Il affirme réaliser un bénéfice journalier qui peut aller jusqu’à 2000 FCFA. Pascal qui, lui, n’a qu’un seul opérateur affirme réaliser un bénéfice journalier variant entre 800 FCFA et 1000 FCFA. Il n’y a pas que les appels téléphoniques qui soient payants. Les réceptions d’appels le sont aussi. “Si tu n’as pas assez d’argent pour appeler, tu peux biper un numéro. Et, si la personne que tu bipes appelle, après la causerie, tu paies le propriétaire du téléphone“, explique un détenu. Pour un prix de 100 FCFA. Ce commerce permet aux propriétaires de portables d’améliorer leurs conditions de détention. “Nous pouvons nous offrir des repas copieux et nous vêtir décemment“, se réjouit Ibrahim.

Blaise DJOUOKEP (JADE)

Défaillant, le système de contrôle actuel vit ses derniers jours

Des erreurs de contrôle ont abouti au retrait de l’agrément d’exploitation forestière du Gic (Groupe d’initiatives communes) Oyenga et à une forte amende. L’application progressive des mesures prévues par l’Accord de partenariat volontaire devrait mettre fin à ce genre de dysfonctionnement.

C’est avec surprise que les membres du Groupe d’initiatives communes (Gic) Oyenga, dans l’arrondissement de Nkolmetet (à environ 90 km de Yaoundé) ont accueilli en février dernier, une note du ministre des Forêts et de la Faune les sanctionnant pour un dépassement de volume. “Quand on a jeté un coup d’œil sur le courrier, on a comparé avec nos documents et constaté qu’on n’avait aucun dépassement”, explique Julien Mvondo, contrôleur au sein du Gic. Protestant contre cette accusation infondée, les membres de l’association ont introduit une requête en annulation. “On a rédigé une requête au ministre. Nous y avons joint toutes les photocopies des documents sécurisés utilisés au cours de l’année 2011”, ajoute-t-il. Deux mois plus tard, le ministre a répondu favorablement à la demande des villageois, évoquant une erreur des postes de contrôle de nuit. Le certificat d’exploitation de l’année 2012 qui lui avait été refusé auparavant, lui sera octroyé. En plus de la suspension, le Gic avait écopé d’une amende de 3.000.000 FCFA. Cette sanction a été gelée après que le ministère des Forêts et de la Faune (Minfof) a reconnu son erreur. Mais ces décisions ont causé un important manque à gagner dans les prévisions initiales de cette organisation paysanne. “Nous n’allons pas réussir à réaliser ce que nous prévoyions de faire en quatre ans dans le plan quinquennal”, regrette Julien Mvondo.

Vers la fin des contrôles hasardeux

Le manque de fiabilité du système de contrôle qui est pratiqué jusqu’ici par les fonctionnaires du Minfof explique ces erreurs. Les contrôles se font dans les “check-points” situés le long des routes. Les lettres de voitures du bois transporté sont alors appréciées, et c’est souvent plus tard qu’elles sont comparées au cahier des charges de l’exploitation concernée. Une procédure qui aboutit souvent à des erreurs dans la mesure où des exploitants trichent avec les lettres de voitures. Le Gic Oyenga avait effectivement été victime d’une manipulation frauduleuse de ses lettres de voitures par un exploitant forestier. Daniel Ndoumou, chef du service régional des Forêts pour la région du littoral, affirme que ces erreurs seront bientôt oubliées, avec la mise en application effective des mesures prévues par l’Accord de partenariat volontaire (APV). “Tous les bois coupés seront suivis par un système GPS. Tous les titres seront cartographiés. Quand tu abats un arbre, on te donne un code- barres que tu colles sur cet arbre, et tu en fais mention dans la lettre de voiture (Ndlr : document de transport qui accompagne tout bois transporté par un véhicule). Si tu coupes hors de ton titre, tu n’auras pas de code-barres à mettre, donc ton bois sera hors circuit”, précise-t-il. L’APV Flegt signé entre le Cameroun et l’Union européenne le 6 octobre 2010 est un accord international bilatéral entre l’Union européenne et un pays exportateur de bois, dont le but est d’améliorer la gouvernance forestière du pays et de s’assurer que le bois importé dans l’Union européenne, remplit toutes les exigences réglementaires du pays partenaire. Une fois cet accord conclu, les deux parties s’engagent à ne commercer que des bois et produits dérivés dont la légalité est vérifiée.

Ali DAOUDOU et Anne MATHO (JADE)

Les premiers certificats de légalité prévus en décembre La marche vers la commercialisation exclusive du bois légal vers l’Union européenne suit son chemin. Les premiers certificats de légalité seront émis en décembre, à en croire le ministère de la Forêt. Ceux-ci vont alors consacrer l’étape décisive vers la matérialisation des APV Flegt. Il s’agit d’un ensemble d’exigences et de procédures qui permettent de vérifier que le processus de production et d’exportation du bois local et de ses produits dérivés vers l’Union européenne, respecte la législation. En principe, le bois est coupé en forêt après inventaire et dans le respect des normes d’intervention en milieu forestier. Le traitement et le transport sont tout aussi soumis à un contrôle jusqu’au port d’embarquement. “A chaque fois, on attribue aux bois un quitus qui les autorise à être évacués. A la fin, quand il est prouvé que toutes les étapes ont été respectées, l’autorisation Flegt est accordée“, explique Daniel Ndoumou, chef de la section forêt à la délégation régionale du Minfof pour le littoral. L’autorisation Flegt est conditionnée par le certificat de légalité qui prouve que le bois exporté est légal. Elle sera obligatoire pour tout bois exporté vers l’Union européenne. “On ne peut pas vous délivrer un certificat de légalité, si votre bois n’a pas suivi les normes de l’autorisation Flegt“, précise Daniel Ndoumou.

Charles NFORGANG

Des villageois se mobilisent contre la coupe illégale du bubinga

Pour protéger cette essence en voie de disparition, les jeunes du village d’Engomo, entendent barrer la voie à l’exploitation sauvage, rejoignant ainsi les prescriptions du ministère des Forêts.

Le bubinga se fait rare dans nos forêts aujourd’hui parce que nos parents n’ont pas su protéger cette espèce rare (…) Ils ont été trompés par des forestiers et des hommes politiques. Nous avons décidé que ce désordre ne va pas continuer…“. L’air déterminé et le ton autoritaire, c’est en ces termes que Sylvestre Nkomo a pris la parole, en juillet, devant ses frères du village d’Engomo, à 14 km sur la route d’Akom II. Il entendait mettre en garde “les villageois qui ont pris l’habitude de brader leurs arbres aux inconnus, contre quelques kilogrammes de maquereaux, de riz et des bouteilles de vin rouge“. Quinze jours auparavant, Samuel Ovambe avait vendu un bubinga (Oveng en langue bulu) à un trafiquant de bois de nationalité nigériane qui écume les villages de la contrée, pour la somme de 15 000 FCFA, un sac de riz de 25 kg et 5 kg de poisson frais. Ce prix bradé n’a pas été digéré par ses proches, notamment son épouse et son frère cadet, Thierry Mba. Ce dernier, élève en menuiserie au lycée technique d’Ebolowa, a saisi le chef de village.

Une pratique courante…

Le chef a décidé, quelques jours plus tard, de convoquer ses frères à l’école publique du village, pour une mise au point sur la coupe et la vente anarchique de certaines essences rares. De cette rencontre de près d’une heure, il ressort que la vente à vil prix de bubinga est une vieille pratique des habitants d’Engomo. Les villageois citent des maires, des hommes politiques de cette localité qui ont pris par le passé une part active dans ce commerce noir. Selon des témoignages recueillis sur place, ces personnalités ont, en complicité avec des chefs de village de la contrée (Evina, Nguina, Abo’o, Assam), servi d’intermédiaires entre les villageois de la contrée et les exploitants forestiers de la place.

Et pourtant interdite par la loi

Le bubinga et le wenge, des espèces de bois très demandées sur le marché international pour leur qualité, sont en voie de disparition en Afrique centrale. Pour éviter cela, le ministère camerounais des Forêts et de la Faune a suspendu provisoirement en 2011 leur commercialisation, afin de mener des études sur l’état réel de ces essences. Le bubinga est un bois noir très prisé par les sculpteurs qui s’en servent pour la fabrication d’objets d’art. Assako, septuagénaire natif d’Engomo, dresse un triste diagnostic de l’exploitation sauvage des essences devenues rares comme le bubinga, l’ébène ou le padouk dans les forêts du village. “De la vingtaine d’arbres bubinga que j’ai pu recenser dans quelques zones limitrophes de ma forêt depuis 30 ans, il en reste à peine quatre. On les trouve à 8 km d’ici, après la traversée de la rivière Mvila. Vous devez tout mettre en œuvre pour protéger cette espèce en voie de disparition. C’est la richesse que Dieu vous a donnée, ne la dilapidez pas“, lance le vieillard à la jeunesse du village. Cette rencontre a débouché sur une résolution ferme. La jeunesse locale entend désormais dénoncer aux autorités tout villageois qui sera pris en train de brader l’une des essences rares. Thierry Mba a fait dresser le procès- verbal de la réunion de crise à Bengono et Mendo, deux notables du village. Richard Abeng, un autre villageois se souvient avoir vendu les planches d’un bubinga en 1997 à plus de 200.000 FCFA. Alors, “il n’est pas question que certains villageois continuent à se faire tromper parce qu’ils ont faim“, commente l’instituteur. Les essences protégées et dont l’exploitation est interdite, seront encore mieux protégées avec la contribution des populations.

Albert NNA (JADE)

Bon à savoir Les forêts des particuliers L’opinion publique a été habituée pendant de nombreuses années à l’expression Ufa, entendez “Unité forestière d’aménagement”. Or, d’autres catégories de forêts existent et sont de plus dans l’air du temps. Il en est ainsi des forêts des particuliers. Il s’agit des forêts plantées par des personnes physiques ou morales, et assises sur leur domaine acquis conformément à la législation et à la réglementation en vigueur. Les propriétaires de ces forêts sont tenus d’élaborer un plan simple de gestion avec l’aide de l’administration chargée des forêts, en vue d’un rendement soutenu et durable. La mise en œuvre de ce plan simple de gestion est effectuée sous le contrôle technique de cette administration. Les produits forestiers se trouvant dans les formations forestières naturelles assises sur le terrain d’un particulier, appartiennent à l’Etat, sauf en cas d’acquisition desdits produits par le particulier concerné, conformément à la législation et à la réglementation en vigueur. Les particuliers jouissent d’un droit de préemption en cas d’aliénation de tout produit naturel compris dans leurs forêts. Les forêts communales Sont aussi à la mode, les forêts communales. Elles représentent, au sens de la loi, toute forêt ayant fait l’objet d’un acte de classement pour le compte de la commune concernée ou qui a été plantée par celle-ci. L’acte de classement fixe les limites et les objectifs de gestion de ladite forêt, ainsi que l’exercice du droit d’usage des populations autochtones. Il ouvre droit à l’établissement d’un titre foncier au nom de la commune concernée. Les forêts communales relèvent du domaine privé de la commune concernée. Les produits forestiers de toute nature résultant de l’exploitation des forêts communales appartiennent exclusivement à la commune concernée. Les communes urbaines sont tenues de respecter, dans les villes, un taux de boisement au moins égal à 800 m2 d’espaces boisés pour 1 000 habitants.

Charles NFORGANG (JADE)

Les abandonnés galèrent pour survivre

Le budget alloué par l’Etat à la prise en charge des détenus est si maigre que ces derniers comptent sur leurs familles pour manger, dormir et se soigner. Si celles-ci les abandonnent, ils vivotent, ou meurent…

Le visiteur qui passe le portail entre la zone de fouille et le terrain de sport de la prison de New-Bell à Douala se croirait dans une foire. De nombreux jeunes détenus font l’aumône, criant à vous rompre les tympans. Le vacarme est encore plus assourdissant, un peu plus loin, sur le terrain qui mène aux cellules. “Grand ! J’ai été abandonné ici par ma famille et n’ai rien à manger.” “Moi, je suis malade et je n’ai pas de l’argent pour me soigner, ma famille vit très loin au Nord du pays.” “Regardez-moi ! S’il vous plaît. Je n’ai personne“, s’égosillent les malheureux, maigres, les dents jaunies, couverts de gale, les cheveux ébouriffés, qui accompagnent nos pas. “Ce sont pour la plupart des détenus abandonnés par leurs familles qui en ont marre de leur mauvais comportement. Ils ne reçoivent généralement aucune visite et doivent quémander ou travailler pour les autres détenus pour survivre“, explique un intendant de prison, et guide de circonstance. Le fonctionnaire ajoute que l’administration de la prison ne peut pas tout faire pour les pensionnaires de cette prison, toujours plus nombreux.

Une portion congrue

A quelques détails près, le même spectacle se reproduit dans les prisons de Mbanga, Edéa, Ngambe où les détenus abandonnés racolent pour vivre. La ration pénale, constitué la plupart de temps de maïs mélangé à du haricot ou du riz est loin d’assurer l’équilibre alimentaire des détenus. Ceux qui reçoivent régulièrement des visites le comblent grâce aux repas ramenés par leur famille ou à la nourriture achetée dans les restaurants tenus par d’autres détenus. Sogmack Rosevelt, condamné à 17 ans de prison ferme à la prison de Ngambe, a toute l’attention de sa famille et mange à sa faim au point de se permettre quelques folies. “La famille m’a même envoyé l’argent de l’amende que j’ai dilapidé dans la mesure où j’ai encore du temps à passer ici… Quand je serai à moins d’un an de ma libération, elle me portera sûrement de l’argent pour la cause“, se vante-t-il. Des prisonniers réussissent à compléter leur ration grâce aux revenus dégagés par une activité. Ils n’ont plus besoin de la parentèle. “Ça fait cinq ans que je suis ici ; beaucoup de membres dela famille qui m’aidaient sont morts. Je fabrique des chaînes, des gourmettes, des boucles, des bracelets. Le produit de la vente me permet alors de m’acheter du savon et de quoi manger pour compléter la minable ration pénale“, explique Nyobe Billong Eric, en prison à Edéa. L’assistance de la famille est tout aussi primordiale en cas de maladie. Les différentes infirmeries de la prison ne disposant de médicaments que pour des cas bénins. Tout traitement nécessitant des transferts dans des hôpitaux spécialisés ou la prescription de remèdes manquant à la pharmacie de la prison sont supportés par le détenu ou sa famille. Les abandonnés meurent alors faute de soins. Certains sont parfois aidés par les missionnaires et autres visiteurs des prisons. Une situation qui ne laisse pas indifférents les administrateurs de prison. “Cela serait une bonne chose d’améliorer les conditions de vie des détenus. Nous avons besoin de moulins à écraser le maïs, qui nous permettraient de varier et donc d’améliorer la ration pénale“, explique Mofa Godwin, le régisseur de la prison secondaire de Ngambe.

L’Etat n’assure pas

La galère des détenus abandonnés est la conséquence du budget minable qu’alloue l’Etat pour la prise en charge des détenus. L’avocat Ngue Bong Simon Pierre accuse l’Etat de ne pas respecter la convention de Genève. “Celle-ci recommande que tout détenu doit recevoir de l’administration aux heures usuelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisant au maintien de sa santé et de ses forces“. Même accusation concernant les règles minima pour le traitement des détenus des Nations unies qui stipulent : “Pour les malades qui ont besoin de soins spéciaux, il faut prévoir le transfert vers des établissements pénitentiaires spécialisés ou vers des hôpitaux civils” aux frais de l’Etat. Des manquements que l’homme de loi explique. “Dans le contexte général d’un pays pauvre, on ne peut pas s’attendre à ce qu’un secteur comme la prison, qui n’est pas prioritaire, soit au niveau des standards internationaux lorsque que les secteurs prioritaires comme l’éducation, la santé, les routes, l’agriculture ne sont déjà pas pourvus. Il faut compter aussi avec la corruption qui détourne les crédits de leur objectif de bonne gestion des prisons et nous empêche de nous rapprocher des minima internationaux“, conclut Me Ngue Bong.

Christian LOCKA (JADE)