Les descentes dans les prisons de Douala, N’Gaoundéré et Bamenda, sous l’égide du projet “Dignité en détention”, ont mis en lumière les déficiences du système carcéral camerounais : surpopulation, recours à l’enchaînement, pratique de la torture…
Faute d’avoir pu s’acquitter d’une amende de 33700 FCFA fixée par le juge du Tribunal de grande instance du Wouri, Valentin Bilaï, un détenu de 27 ans, a écopé d’une contrainte par corps. Autrement dit, condamné en juin 2011 à 24 mois d’emprisonnement pour viol, il a finalement purgé 6 mois de détention en plus. “Mon père n’est plus venu me rendre visite depuis mars 2011. Où aurais-je pu trouver cet argent?”, s’interroge-t-il. Vêtu d’une chemise qui laisse entrevoir une peau recouverte de gale, le jeune homme n’a même pas de quoi acheter une pommade pour se soigner. Comme Valentin, plus de 1 200 détenus “vulnérables”, ont été identifiés par Avocats sans frontières (ASF) France, au cours de visites effectuées dans des prisons camerounaises. Ce sont des femmes, des enfants, des indigents, des personnes âgées ou des malades. Ces descentes en milieu carcéral s’inscrivent dans le projet “Dignité en détention”, mis en œuvre par ASF France et le barreau du Cameroun, grâce à l’appui financier de l’Union européenne. Il a été lancé en novembre 2011 à la prison centrale de Douala. Celles de Ngaoundéré et Bamenda ont également été visitées. “Dignité en détention”, qui met l’accent sur la formation des acteurs du système judiciaire et l’assistance judiciaire, vise à faire respecter les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Trop de prévenus en prison
Le but de ces visites est de voir les conditions de détention pour faire ensuite des recommandations au gouvernement. Cela a permis de relever les abus de la contrainte par corps : plus de 450 détenus restent en prison à Douala, Ngaoundéré et Bamenda. “C’est inadmissible qu’on demande aux gens qui purgent leur peine en détention, de payer 20.000 à 30.000 FCFA d’amende, alors qu’ils n’ont pas d’argent”, dénonce Prosper Olomo, coordonnateur du projet au Cameroun. “L’Etat est perdant car il doit loger, nourrir et soigner des personnes qui auraient dû être libérées”, poursuit-il, recommandant au gouvernement d’instituer les travaux d’intérêt général, pour permettre aux détenus de travailler hors de prison et de régler leurs amendes. Autres problèmes mis en avant par ASF France : le nombre très élevé des prévenus en prison. Ils sont deux à trois fois plus nombreux que les condamnés dans les geôles camerounaises. A Douala, 2 200 des 3.000 détenus sont en détention préventive. Ils sont 300 sur 450 à Bamenda et 500 sur 800 à Ngaoundéré. ASF France met en cause le recours systématique à l’emprisonnement.
“Les gens sont envoyés en prison quand bien même ils présentent des garanties comme par exemple, un emploi ou un domicile”, dénonce Prosper Olomo. Le droit minimum au logement n’est pas respecté. A Douala, près de 500 détenus dorment dans la cour. Ceux qui couchent dans les cellules ne sont pas mieux lotis, le taux de surpeuplement dans certains dortoirs étant de 300 %. Conséquence: “des gens dorment entassés comme des moutons, parce qu’une cellule, prévue pour 50 personnes, en abrite 150”, affirme le coordonnateur du projet.
Des prisonniers enchaînés
La situation est bien plus grave à la prison centrale de Bamenda, où un détenu sur neuf est enchaîné pour cause d’indiscipline supposée. Certains prisonniers doivent mettre des chaussettes et des chiffons pour atténuer la douleur provoquée par les menottes et les fers. Une violation au droit des prisonniers que dénonce Prosper Olomo. “L’enchaînement est proscrit”, rappelle-t-il, suggérant d’utiliser, en guise de punition, l’enfermement dans les cellules d’isolement ou la suspension des visites pendant un temps déterminé. Une démente, qui cohabite avec les détenus, subit le même sort, alors qu’elle aurait dû être internée dans un centre hospitalier approprié. Autre anomalie grave : des centaines de détenus restent enfermés plusieurs mois après leur libération car la décision de justice ne leur est pas parvenue. “Nous avons transmis les listes des détenus concernés aux présidents des tribunaux afin qu’ils délivrent ces documents”, explique le coordonnateur du projet. Enfin, la loi sur les avocats commis d’office n’est pas respectée, donnant lieu à de nombreux abus au cours de l’enquête préliminaire. “Faute de conseil pour veiller sur leurs droits, les gens signent le procès – verbal alors qu’ils ne savent ni lire, ni écrire. Pourtant, l’officier de police judiciaire (OPJ) y rédige parfois des déclarations autres que celles tenues par le gardé à vue. Ces notes lui seront par la suite préjudiciables pendant les audiences de jugement”, dénonce Prosper Olomo. Plus grave encore, les OPJ n’hésitent pas à pratiquer la torture pour arracher des aveux. “Soupçonnée de vol de téléphone portable, une détenue de la prison de New Bell a été bastonnée. Les coups de machette sur la plante des pieds est aussi une pratique courante dans les prisons des grandes villes”, conclut le coordonnateur du projet.
Anne MATHO (JADE)