Archives pour la catégorie Droits humains en milieu carcéral

Bororos et pygmées exclus de la compétition

Victimes de discrimination, les Bororos et les pygmées, les minorités du Cameroun, ne sont pas présents sur certaines listes dans les régions où ils vivent. En totale violation du code électoral, qui prend en compte toutes les composantes sociologiques, et des normes internationales qui condamnent la discrimination des minorités.

 La campagne qui a débuté le 15 septembre se fera sûrement sans de nombreux Bororos et pygmées. Des recours, introduits pour annuler les listes n’ayant pas respecté les droits de ces minorités ont tous été rejetés par la Cour Suprême. Le cas le plus marquant a été l’absence des minorités Bororos sur les listes du Sdf et du Rdpc dans l’arrondissement de Batcham dans la région de l’ouest.

Ici, le Sdf reprochait au Rdpc et à l’Undp, concurrents pour gagner les 41 sièges de cette municipalité, de n’avoir pas tenu compte de la diversité sociologique de cette circonscription électorale. L’Undp pensait la même chose des listes de ses deux adversaires et estimait que la sienne avait, à la différence de celle d’en face, inclus «tout le monde» y compris les Bororos. Le Rdpc, par contre, qui ne compte aucun Bororo sur sa liste, n’y trouvait alors aucun inconvénient, estimant subir là un faux procès. Pour Paul Kenné, 5e sur la liste Rdpc à Batcham, «les Bororos ne peuvent pas encore être pris en compte à Batcham »

Le verdict de la cour suprême va ignorer ces différentes plaintes et valider les listes querellées. Et pourtant, « la loi électorale en son article 171 alinéa 3 stipule que la constitution de chaque liste doit tenir compte des différentes composantes sociologiques de la commune concernée. A Batcham, les populations Bororos occupent une place importante dans la circonscription. Vu son nombre actuel et son importance au sein de la localité, c’est une erreur de faire des choix sans tenir compte de leur avis. Je suis très déçu par le verdict de la cour suprême », a déclaré Sanda Taparé, Bororo et militant de l’Undp qui reproche par ailleurs à la cour d’être tolérante sur le principe de la « composante sociologique ».

Les pygmées grands habitués de l’exclusion…

 Habitués des exclusions et, cette fois encore, ignorés des listes aux élections municipales et législatives, ils promettent de manifester leur colère par l’abstention ou le vote sanction contre le Rdpc, le 30 septembre.

Les pygmées « Bakola » de Lolodorf reprochent au Rdpc d’avoir choisi ses candidats uniquement dans les circonscriptions électorales des personnes «civilisées». Le choix s’est alors opéré dans 12 villages sur les 28 que compte cet arrondissement. « On nous a toujours balancé à la figure la protection des minorités sociologiques. Cette disposition figure dans la constitution du Cameroun, mais d’où sort-il que les pygmées, qui sont des Camerounais à part entière, eux à qui on demande d’aller aux urnes ne soient pas éligibles? », dénonce Nkoro Catherine fleur, une ressortissante pygmée.

En violation des normes internationales

 Selon le manuel d’observation électorale de l’Union européenne, la discrimination et le rejet des minorités constituent de graves violations des règles du processus électoral. « Nul ne devrait subir de discrimination, ni être désavantagé en aucune façon pour s’être porté candidat », précise le manuel.

Autre disposition du code électoral camerounais qui contribue à l’exclusion d’une catégorie de citoyens de la course aux élections : les pièces à fournir pour être éligible ont dissuadé de nombreux pygmées et bororos qui ont un très faible niveau d’instruction. Pourtant, selon le manuel cité plus haut, « toute condition exigeant un minimum de présentation de candidature devrait être raisonnable et ne devrait pas servir à faire obstacle à la candidature ».

Maitre Nestor Toko, avocat au barreau du Cameroun et président de l’association Droit et paix, dénonce avec fermeté l’exclusion des minorités de l’élection des conseillers municipaux ou des députés. «Tous les hommes sont égaux en droit et en devoir. L’Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi » fait remarquer l’avocat pour qui, en mettant à l’écart des minorités, l’Etat viole lui-même cette disposition de la constitution.

Joseph OLINGA N. (JADE)

Des militants du RDPC corrompent pour se faire élire

Des militants du parti au pouvoir multiplient des rencontres informelles au cours desquelles des agapes et de l’argent sont distribuées. L’objectif étant d’acheter les consciences des électeurs au mépris de la loi. Le code pénal condamne pourtant à des peines de prison ces pratiques récurrentes.

Les journées des jeunes du quartier Bépanda à Douala sont de moins en moins longues. Elles s’achèvent généralement tard dans la nuit après le départ des émissaires de la tête de liste RDPC aux municipales à Douala 5è. Jusqu’à tard ce jeudi, veille des derniers jours d’avant le début officielle de la campagne, des jeunes qui se présentent comme militants du RDPC attendent groupés dans la cour d’un domicile au carrefour “Tendon”. « Même s’il faudra attendre jusqu’à minuit, je suis là et ne rentrerai pas d’ici sans boire une bière », fait remarquer Bell, l’un des nombreux jeunes présents.

Attendu à 21 heures, c’est finalement à 23 h 30 qu’arrivent dans deux voitures le cortège du Rdpc. « Merci d’être venus nombreux pour nous recevoir chez vous, la « mère» Mme Foning s’excuse de son absence  parmi vous, elle aurait souhaité  faire la rencontre personnelle de tous  les 26 comités de base de  Bépanda avant le début de la campagne électorale. Mais elle a pris en compte toutes vos doléances…»,  déclare le porte parole de la commission envoyée par Françoise Foning.

Le discours de propagande, arrosé de promesses d’emploi, d’amélioration du cadre de vie, est suivi du décompte des personnes titulaires de cartes électorales. Le porte parole sort ensuite une liasse de billets, en retire cinq de 10 000 F qu’il remet à l’un des jeunes. « La mère a prévu ça pour vous », lance-t-il aux jeunes qui se le partagent au taux de 1000 F chacun avec la promesse de voter pour leur bienfaitrice  le 30 septembre.

Achat de consciences…

Les différents quartiers de la circonscription électorale de Douala 5è sont quadrillés par ces émissaires qui à chaque fois font des promesses et repartent après avoir distribué de l’argent. Seules les personnes titulaires de cartes d’électeurs bénéficient de la sollicitude des émissaires. Au quartier Sodikombo à PK13, ceux qui sont recensés ne reçoivent pas directement une rémunération, mais une promesse ferme de tenir compte de leur « vote positif », c’est-à-dire en faveur du Rdpc le moment venu. En plus de leurs coordonnées électorales, sont également enregistrés leurs  contacts téléphoniques. Pour dame Adama, Présidente d’un comité à Bépanda, l’opération n’a rien à voir avec la corruption et consiste plutôt pour le Rdpc à évaluer le nombre de suffrages favorables possibles.  Elle précise par ailleurs que le « vote positif » n’est pas obligatoire et dépend de la conscience de l’électeur. « Moi je vais voter Françoise Foning parce qu’elle a beaucoup travaillé pour mon quartier qui était avant un tas de boue. Ce n’est pas pour une affaire d’argent qu’elle distribue,  mais de meilleur candidat », affirme contrariée dame Adama.

Interdit et punit par la loi

Le Mouvement africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie crie à la corruption et soutient qu’il s’agit d’un sport favori  du Rdpc. « La nourriture, du vin, des sacs de riz, de maquereau, d’huile et beaucoup d’argent sont distribués à la veille et pendant la campagne par le Rdpc et ses militants devant des caméras de télévision… C’est de la corruption et pourtant personne n’est inquiétée », dénonce Anicet Ekane, membre du Bureau politique du Manidem. En effet, de nombreux militants de ce parti et autres membres du gouvernement ou assimilés organisent depuis la convocation du corps électoral des cérémonies publiques au cours desquelles sont distribués de nombreux cadeaux en nature et parfois de l’argent. La raison officielle évoquée étant de remercier leurs électeurs et assister dans leurs difficultés. Ces pratiques sont pourtant interdites par le code pénal camerounais dans son chapitre relatif aux atteintes à la constitution. Il punit  de la détention de trois mois à deux ans et d’une amende de 10.000 à 100.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement celui qui, « par l’octroi ou par la promesse d’un avantage particulier de quelque nature qu’il soit, ou  par voies de fait ou menace d’un dommage particulier quelconque, influence le vote d’un électeur ou le détermine à s’abstenir ».

E. Lako, A. Nyem, T. Tchopa  (JADE)

Dix-huit morts en six mois dans la prison de Bertoua

 Maltraitance et malnutrition sont les maux qui sont pointés du doigt. Gardiens de prison et détenus sont déterminés à mettre fin à l’enfer carcéral de Bertoua.

 

 

« Entre août et octobre 2012, nous avons enregistré 15 morts ici. Puis, trois détenus sont décédés entre le 10 et le 13 janvier 2013.  Un mort par jour. » Ces déclarations alarmantes sont d’un personnel en service à la prison centrale de Bertoua. La ration alimentaire est la principale cause de mortalité dans ce pénitencier.

 

Prisonniers mal nourris

Une autre source ayant longtemps travaillé à la cuisine précise : « Cette ration journalière est composée de couscous fait à base de farine de manioc et de maïs tandis que la sauce est un mélange de 50 litres d’eau, d’un demi-litre d’huile de palme, d’un zeste de pâte d’arachide et de colorant. A cela, on ajoute un mélange de levure chimique et de farine de manioc pour faire gonfler le tout. »

« Pourtant le chef de l’Etat a récemment débloqué une somme totale de 1.5 milliards de francs Cfa pour améliorer la qualité de la nutrition dans les prisons du Cameroun. La prison centrale de Bertoua a reçu 26 millions de francs Cfa en liquide pour nourrir ses 500 détenus. Soit un peu plus de 2 millions de francs Cfa par mois, mais, au final, on ne dépense pas plus de 500.000 francs Cfa avec ces jongleries culinaires », affirment d’autres personnes travaillant à la prison.

Conséquence : les services de santé pointent, « un affaiblissement physique progressif de la plupart des prisonniers et un accroissement du taux de morbidité ». Malgré cette montée vertigineuse du nombre de malades, précise un détenu, « l’administration de la prison a fermé le quartier qui leur était uniquement réservé ». La raison : « Le régisseur estime que même malades, ces prisonniers peuvent s’évader ». A cause de cette décision, poursuit un autre détenu, « les malades cohabitent dans des locaux exigus avec des détenus sains qu’ils contaminent ».

Pour les mêmes raisons de risque d’évasion, soutient-on, « l’accès à l’infirmerie, donc aux soins, était interdit à ces malades qui couraient inexorablement vers la mort. On n’est donc pas surpris du nombre important de morts ». De sources internes toujours à la prison centrale de Bertoua, « cette situation a été constatée par Simo Ndjoko, le délégué régional de l’Administration pénitentiaire lors de sa récente tournée de prise de contact dans cet établissement pénitencier ». Les mêmes sources révèlent qu’« au cours de la traditionnelle séance de travail qui ponctue ce genre de descente, certains détenus ont pris la parole pour dénoncer tous ces maux et réclamer des solutions à ces mauvais traitements que tous subissent ».

Surpopulation

Dans un rapport confidentiel adressé au Garde des Sceaux, une mission d’enquête a établi qu’« effectivement, et selon les registres de l’infirmerie, dix huit détenus ont trouvé la mort ces derniers mois à la prison centrale de Bertoua ». Interrogé le 21 janvier 2013 dans son bureau,  Ngang Joh Lamya Mama, le régisseur de la prison, en reconnaît douze. Au cours de notre entretien, le patron des lieux a trouvé qu’« il était normal de mourir car même dans les hôpitaux de haut standing, on meurt. Il n’est donc pas étrange de mourir à l’infirmerie de la prison centrale de Bertoua. » Surtout que, comme l’a également mentionné le rapport évoqué plus haut, « le plateau technique de cette infirmerie n’est pas capable de prendre en charge les maladies de la prison ».

A cela s’ajoute, selon le même rapport et le régisseur, « la promiscuité du fait de l’entassement parfois de plus de 50 détenus dans des locaux prévus pour 20 ». Et c’est là où le bât blesse. En effet, « comme toutes les prisons du Cameroun, la prison centrale de Bertoua souffre d’une surpopulation évaluée à plus de 400% de sa capacité initiale ». « La prison de Bertoua compte exactement 478 prisonniers pour une enceinte construite en 1930, pour en accueillir 100 ».

La faute à un système judiciaire qui n’a pas toujours intégré l’objectif principal du code de procédure pénale dont l’application devait permettre une décongestion des prisons du Cameroun. Malheureusement, malgré les possibilités qu’offre ce texte sur les mises en liberté, on se rend compte que près des trois quart des détenus de nos prisons restent des prévenus.

Ange-Gabriel OLINGA (JADE)

 

Liste des détenus décédés d’août à octobre 2012 :

  1. Ekoto Martin
  2. Mohamadou Moctar
  3. Ousmanou Assana
  4. Yao Yaya
  5. Sandé Serge
  6. Amadou Ali
  7. Podi Alain
  8. Sali Yola
  9. Mamadou Sanouna
  10. Youssoufa Nguelnguelde
  11. Awalou Amadou
  12. Aboubakar Sidiki
  13. Mamadou Awalou
  14. Ousmanou Aïdjo
  15. Hamadiko Ousmanou

Détenus décédés entre le 10 et 13 janvier 2013

  1. Aeme César, le 10 janvier 2013
  2. Mama Dibel Thierry, le 11 janvier 2013
  3. Bili Zambo, le 13 janvier 2013.

 

Dans le couloir de la mort de la prison de Douala. Les condamnés redoutent la fusillade au petit matin

Rejetés par leurs familles, évités par les avocats, discriminés par les Ongs, les condamnés à mort de la prison de Douala vivent dans la peur d’être un jour extraits de leurs cellules pour être fusillés. En attendant le moment fatidique, tous s’en remettent à Dieu.

 Ce dimanche, jour de visite à la prison de New-Bell à Douala, la cellule ” spéciale 01 ” connaît de nombreux va et vient de détenus qui entrent, sortent, jouent au ludo, aux échecs ou regardent la télévision. Ces prisonniers, venus d’autres quartiers de la prison, apprécient le calme de cet îlot, suffisamment aéré et équipé d’un téléviseur, mais certainement pas la situation pénale de ses occupants. Ils sont treize condamnés qui attendent le moment fatidique d’être fusillés sur la place publique. Le regard hagard et perdu de la plupart d’entre eux exprime leur angoisse. “Je suis un innocent qu’on a condamné à mort pour rien et peut-être qu’un jour, on viendra me sortir d’ici pour aller me tuer”, plaide, dans un français difficile, Kaowala Mbarandi Jacques, âgé d’environ trente ans et incarcéré depuis octobre 2008.

Il soutient n’avoir été que le témoin d’un meurtre dans une cafeteria où il travaillait. Il a été arrêté comme complice des assassins qui avaient tous pris la fuite. Pauvre, il n’a pas pu prendre un avocat pour sa défense, se contentant de celui qui lui avait été désigné d’office. Il est alors condamné à mort pour assassinat, et ne fera jamais appel de la décision. “Je ne suis pas beaucoup allé à l’école. Je ne connais rien et n’ai pas la famille à Douala. C’est en prison que j’ai appris que je pouvais faire appel, mais il était trop tard “, raconte-t-il anxieux.

Incarcéré depuis juillet 2009, Thomas Kandi sera étonné d’être transféré à la cellule “spéciale 01” en octobre 2010. Absent du tribunal qui l’a condamné, il n’a pas pu faire appel de la décision à temps. “J’étais dans la souffrance et n’ai personne pour m’aider. Par ailleurs, c’est quand on m’a transféré de ma première cellule pour le quartier des condamnés à mort que j’ai su que j’avais été condamné à cette peine “, affirme-t-il. Condamné dans la même affaire d’assassinat, Aboubakar Aoudou, alias Hassan, pense avoir fait appel, mais sans trop d’assurance. “Un de mes frères avait promis de le faire pour moi, mais je ne sais pas s’il l’a fait. Je veux bien le croire et garde l’espoir que je serai jugé de nouveau”, confie-t-il. Il s’en remet à la loi qui précise que tout condamné peut voir sa peine réappréciée par un tribunal supérieur à celui qui l’a condamné en premier ou deuxième ressort, à condition d’interjeter appel dans les dix jours qui suivent le verdict. Ce qui est difficile pour la grande majorité des condamnés à mort de la prison de Douala. 

L’appel peu efficace

Pauvres et abandonnés par leurs familles, ils ont été jugés avec la seule assistance d’un avocat commis d’office par le ministère de la Justice. “Les avocats fuyaient mon cas, alors que mon plaignant avait six avocats à lui tout seul. C’est donc sans réelle arme de défense que j’ai été envoyé au couloir de la mort “, relate Semengue Roger aujourd’hui âgé de 36 ans et en prison depuis dix ans pour assassinat et vol aggravé. Même s’il reconnaît les faits qui lui sont reprochés, il les met sur le compte de la jeunesse et de la précipitation. “Je suis issu de famille pauvre. Un Monsieur pour qui je travaillais a retenu indûment mes deux mois de salaires. Sous le coup de la colère, et je le regrette aujourd’hui, je l’ai agressé et tué “, précise Roger, aujourd’hui chef du quartier des condamnés à mort. Il fera tout de suite appel de sa condamnation, mais il n’a jamais été rappelé pour être rejugé. ” Du coup, on est en droit de penser qu’un jour, on sera extrait nuitamment pour être exécuté comme ce fut le cas pour d’autres condamnés à mort récemment en Gambie “, regrette-t-il.

Le même sentiment est partagé par Mem Hans, 45 ans et doyen d’âge de ce quartier où il séjourne depuis 2004. A la suite d’une bagarre à Sakbayeme, son village, il est condamné à mort pour l’assassinat de l’un de ses oncles maternels. Il conteste alors la décision, en arguant qu’une autopsie n’ayant pas été réalisée, il est difficile de prouver que cet oncle est mort des suites des coups reçus. Mais la cour d’appel confirme la sentence, trois mois plus tard. Mem Hans se pourvoit alors en cassation. Sept ans plus tard, il n’a ni reçu un document attestant que sa requête a été enregistrée, ni été appelé à comparaître de nouveau. Son propre avocat l’a roulé dans la farine. ” J’ai lavé les mains et donner ma vie à Dieu. Ici, il n’y a pas de distraction en dehors de la télé, ni une quelconque activité de réinsertion. Du coup, nous avons compris qu’à n’importe quel moment, on va nous tuer et cela me rend parfois nerveux et violent “ explique-t-il.

Supprimer la peine de mort ?

Même s’il réside encore dans la cellule “spéciale 01 “, Mapac Josué, 41 ans, mais en paraissant plus de 60, pense pouvoir, un jour, retrouver la liberté. Condamné à mort en 2001 pour assassinat à Yabassi, il a fait appel. Depuis, il a appris que sa condamnation à la peine capitale a été commuée en un emprisonnement de 25 ans . ” J’ai seulement peur de la maladie, parce qu’ici, en prison, si tu tombes malade, non seulement il est difficile que tu en sois extrait pour les soins, mais pire, tu dois être pris en charge par ta famille. Pour moi qui n’ai que ma pauvre mère je vais seulement mourir “, confie-t-il, déséquilibré.

Le cas de Josué est rare. De nombreux autres condamnés demeurent dans l’incertitude totale, parfois depuis plus de vingt ans. Une situation intenable qui pose la question de la suppression de la peine de mort. D’autant plus qu’au Cameroun, les dernières exécutions remontent à 1997. Depuis cette date, sous l’action des Ongs nationales et internationales qui souhaitent que le pays abolisse la peine capitale, aucun condamné n’a été exécuté. Au regard de la loi, ” toute condamnation à mort est soumise au Président de la République en vue de l’exercice de son droit de grâce. Tant qu’il n’a pas été statué par le Président de la République sur la grâce du condamné, aucune condamnation à mort ne peut recevoir exécution “.

Pour les défenseurs des droits humains, le fait de garder pendant longtemps en détention des condamnés à mort est une torture supplémentaire. ” Selon la loi, la prescription d’un crime est de 20 ans. C’est-à-dire qu’au-delà de 20 ans, une peine qui n’est pas exécutée est prescrite. Les condamnés à mort, qui ont déjà passé plus de 20 ans en prison, ne devraient donc plus être exécutés et, dans ce cas, que devient leur statut juridique : condamné à vie ou à perpétuité ? Le Cameroun doit abolir la peine de mort et nous œuvrons pour cela “, insiste Me Nestor Toko, avocat et président de l’association Droits et Paix.

 

Dieu pour seul refuge

Incertains sur leur sort, abandonnés par leurs familles, la plupart des condamnés à mort s’en remettent à Dieu. ” Après votre incarcération, vous recevez quelques visites. Une fois condamnés à mort, cela devient difficile, vous ne voyez plus personne “, explique Semengue Roger. En dix ans de détention, il n’a reçu que trois visites de sa mère qui vit à Ebolowa. Aucun de ses frères, sœurs et amis ne s’est déplacé. De nombreux détenus ne reçoivent qu’une ou deux visites après plusieurs années, voire aucune. Les Ongs, qui visitent les prisons, leur apportent tout aussi difficilement assistance, tout comme les avocats qui préfèrent les cas mineurs, même quand ils sont payés par des bailleurs de fond dans le cadre de l’assistance judiciaire aux démunis.

Dieu demeure donc le seul refuge. Les congrégations religieuses, surtout les catholiques, comptent parmi les fidèles visiteurs des condamnés à mort. ” La foi habite le condamné à mort. Nous craignons Dieu et respectons ses commandements et le louons tous les jours “, fait remarquer Semengue Roger. Il a été baptisé en prison et est désormais le coordonnateur de la communauté Saint Egidio de ce quartier. Pour se prendre en charge, il fabrique des chapelets qu’il vend à bon prix à tous les détenus. Mem Hans, lui, est le président du mouvement St Maximilien Marie Corbeau, prêtre jésuite devenu saint patron des condamnés à mort pour avoir donné sa vie en échange de celle d’un condamné à mort, affirment les catholiques.

Comme eux, tous les condamnés à mort prient à longueur de journée et assistent à tous les offices religieux. L’Eglise le leur rend bien et leur apporte à chaque fois assistance, contribuant ainsi  à les éloigner spirituellement de l’abîme de la mort.

Charles Nforgang (JADE)

Les articles sont produits avec l’aide financière de l’Union Européenne. Le contenu de ces articles relève de la seule responsabilité de JADE Cameroun et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l’Union Européenne.

Enfermée avec les hommes, elle est violée pendant sa garde à vue

Cette commerçante de quarante ans, mère de sept enfants, a été jetée en cellule avec les hommes, gardée à vue au commissariat du 2e arrondissement de Yaoundé. Elle affirme avoir été violée.

Lucresse Ngono Obia n’oubliera sans doute jamais la nuit du 4 au 5 septembre 2012, quand les policiers l’ont jetée en pâture à des hommes gardés à vue dans une cellule du commissariat. Dans la journée du 4 septembre, le commissaire Aristide Ayissi, accompagné de ses “gros bras”, avait entrepris de casser les comptoirs appartenant aux bouchers du hangar n°6 au marché Mokolo. Il avait été relayé dans cette casse par le chef du secteur “vivres frais”, Marie Ossanga.

La nuit dans les toilettes

Un peu plus tard, Lucresse Ngono Obia, chef de ce hangar n°6 est interpellée par deux éléments du commissariat du 2e arrondissement. “Sans motif“, dit-elle. Elle est entendue tard dans la nuit avant d’être jetée, vers 23 h, dans les toilettes du commissariat. “Je n’ai pas dormi cette nuit-là. Je suis restée debout au milieu des excréments et des urines“, raconte-t-elle. Au petit matin du 5 septembre, son calvaire n’est pas terminé : elle se retrouve en compagnie de plusieurs hommes dans une cellule commune. “J’y ai vécu le moment le plus horrible de mon existence. J’ai été violée par un homme qui, par la suite, m’a fait consommer son sperme“, raconte-t-elle en sanglotant. Toujours traumatisée, elle est hors d’elle lorsqu’elle apprend que le commissaire Ayissi et Marie Ossanga, la traitent de menteuse. Au marché Mokolo à Yaoundé, toutes les attentions se portent sur cette femme qui a eu la malchance de tomber entre les mains de celui que les commerçants du marché nomment pompeusement le “très puissant commissaire Ayissi”. Depuis son arrestation, cette mère de sept enfants et grand- mère de quatre petits-fils ne marche plus seule, elle se fait toujours accompagner. Aux dires de ses proches, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Malade

Psychologiquement affectée, “elle a perdu quelques kilos et ne prend plus soin d’elle“, confient ses voisines de comptoir au marché Mokolo. Suivie depuis son agression par des médecins psychiatres à l’hôpital Jamot de Yaoundé, la femme dit souffrir d’hypertension artérielle. Après sa libération le 5 septembre, elle a été prise de vomissements dans la nuit. Son fils aîné l’a alors conduite dans un centre de santé situé non loin du domicile familial sis à la nouvelle route Nkolbisson. Le lendemain, au marché, ses crises de vomissements se sont multipliées. Paniqués et effrayés, ses camarades l’ont conduite d’urgence à l’hôpital de la Cité verte où le médecin Olive Tocko lui a délivré un certificat médico-légal qui atteste : “Ngono Obia a subi des sévices corporels et physiques en milieu carcéral. Elle se plaint de douleurs pelviennes et épigastriques ainsi que de vomissements. Par conséquent, nous lui octroyons un repos médical de 29 jours.

Plainte non recevable ?

Lucresse Ngono Obia dit avoir déposé une plainte contre son agresseur et les autorités policières dont le commissaire de police Aristide Ayissi, responsable de l’unité et donneur d’ordre. Lui, qualifie le viol d’imaginaire et met en avant la vacuité du code de procédure pénale qui ne prévoit, en l’espèce, aucun dispositif particulier en matière de garde à vue. “Le droit des gardés à vue est encadré de manière générale. A aucun moment, on n’a tenu compte, au niveau de la police judiciaire, de la spécification des détenus particuliers. Et pourtant, on aurait dû le faire, notamment en ce qui concerne les femmes, les enfants, les étrangers et les handicapés“, déplore Me Simon Pierre Eteme Eteme, avocat au barreau du Cameroun et auteur d’un ouvrage sur la garde à vue au Cameroun. Me Eteme Eteme indique par ailleurs, que Lucresse Ngono Obia est fondée à traduire son agresseur en justice, et, de manière indirecte, le fonctionnaire de police ayant donné l’ordre de l’enfermer au milieu des hommes.

Léger Ntiga (JADE)

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Des associations au secours des prisonniers

Produits de première nécessité, vêtements, scolarisation des mineurs, défense des droits : de nombreuses associations viennent en aide aux détenus pour améliorer leur quotidien.

Le 3 septembre dernier, un incendie ravage les cellules spéciales 18 et 20 de la prison centrale de Douala. Tout juste deux mois après, le 25 octobre, la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (CNDHL) offre aux détenus, un four à micro-ondes et un congélateur d’une capacité de 500 litres. Quelque temps plus tôt, c’est la communauté nigériane qui manifestait sa solidarité, en offrant des vêtements, sacs de riz, cartons de savon, du sel, du sucre, à ses ressortissants…
Dans la foulée, l’Association des réfugiés sans frontières avait, elle aussi, fait des dons de même nature. Outre ces aides de première nécessité, l’Association nationale Cameroun avenir (Anacav) a organisé un championnat de football pour les détenus au sein de la prison centrale de Douala, et Charité sociale humanitaire (Chasoh) a pris en charge l’alphabétisation des détenus mineurs.

Défense des droits

Plusieurs raisons expliquent ces actions. “Ce qui nous motive, ce sont les mauvaises conditions de détention des prisonniers. Leurs droits les plus élémentaires ne sont pas respectés : le droit à l’information, à la santé, à la nutrition. La dignité humaine n’est pas toujours respectée“, explique Jacques Dooh Bell, chef de l’antenne régionale pour le Littoral de la CNDHL. Idem pour les autres associations qui veulent s’assurer que les détenus ont au moins le minimum pour vivre. En plus d’offrir des dons, Avocats sans frontières (ASF) assure la défense des droits des détenus abandonnés par leur famille et qui n’ont pas les moyens de payer un avocat. “Nous leur apportons une assistance juridique afin qu’ils puissent avoir la liberté parce qu’elle n’a pas de prix. Les détenus ont droit à un procès équitable“, explique Me Nsali Mbébi Madeleine, membre d’ASF Cameroun. L’association Chasoh n’a pas la tâche facile. La prise en charge de la scolarisation des détenus mineurs demande d’importants moyens qui ne sont pas toujours disponibles. Cependant, “quand on a la volonté d’aider, les moyens viennent tout seul. Il ne faut pas forcément être très riche pour aider les nécessiteux. Je suis une fonctionnaire. Je prends un peu de mon salaire, un peu de l’argent que me donne mon mari et les divers dons que je reçois parfois“, indique Mme Magne épouse Tagne Tapia, présidente de Chasoh. Elle poursuit. “Je paie toutes les fournitures scolaires des mineurs emprisonnés et je prends en charge leurs enseignants qui sont eux aussi des détenus“. Contrairement au Chasoh, d’autres associations jouissent d’appuis financiers de divers ordres. La CNDHL bénéficie de l’aide du gouvernement camerounais et de certaines organisations des Nations unies à l’instar du Programme des nations unies pour le développement (Pnud). Il en est de même de l’Association des réfugiés sans frontières (ARSF) et d’Avocats sans frontières (ASF) qui bénéficient respectivement d’une subvention de l’Union européenne et du financement d’Avocats sans frontières France, en plus des cotisations internes des membres d’ASF Cameroun.

“Un appui salutaire”

Des financements qui peuvent leur permettre des investissements futurs en faveur des détenus : La CNDHL entend installer des tentes pour les détenus qui dorment à la belle étoile ; ARSF va poursuivre son “projet de défense des droits des détenus et d’amélioration des conditions de détention”, lancé en 2010. “Il vise la formation des procureurs, régisseurs de prison, avocats, gendarmes et policiers sur l’application du code de procédure pénale. On entend aussi intensifier le paiement des contraintes par corps, des amendes des détenus afin qu’ils retrouvent la liberté“, énumère Daniel Moundzego, son président. D’où la satisfaction du régisseur de la prison centrale de Douala. “Ce sont des appuis sociaux. Ça va en droite ligne avec l’assistance aux détenus. C’est un complément parce que les moyens que l’Etat met à notre disposition ne sont pas suffisants au regard de l’effectif des prisonniers. C’est un appui salutaire“, se réjouit Dieudonné Engonga Mintsang.

Blaise Djouokep (JADE)

 

Un journaliste raconte sa garde à vue à Bafoussam

Embarqué de force au commissariat pour une affaire d’argent, le journaliste Guy Modeste Dzudie a été gardé à vue dans les cellules camerounaises. Il raconte.

Ce 25 novembre 2012, alors que j’attends un taxi au carrefour Madelon à Bafoussam, se gare devant moi une voiture blanche. Guy Blondel Kakeu, l’un des trois occupants, m’invite à le suivre au commissariat. Serein, je m’exécute. “Le voici. Je l’ai pris aujourd’hui“, lance Guy Blondel aux policiers de service en leur faisant une tape amicale. Je n’ai pas encore fini de répondre aux questions du chef de poste qu’un de ses collègues, inspecteur de police, intervient. “On va vous garder, Monsieur ! Vous n’êtes pas de bonne foi“, lance-t-il. “Je ne suis pas de mauvaise foi. Je pourrais être fautif, mais le litige m’opposant à M. Kakeu est civil et non pénal. Vous ne pouvez pas me retenir ici. Nous ne sommes pas dans un cas de flagrant délit. En plus, nous sommes dimanche“, rétorqué-je. Cette mise au point fait monter la moutarde au nez des policiers. “Voulez-vous nous démontrer que vous connaissez le droit ? On va voir alors qui a raison. Allez-vous asseoir au fond du couloir là ! Vous allez y attendre que l’inspecteur Kenfack vienne vous auditionner demain matin. En attendant, le permanencier judiciaire, l’inspecteur Mbida Mbida, est là. Il faut que Monsieur soit entendu, même s’il veut nous démontrer qu’il n’est pas en flagrant délit“, ordonne courroucé un policier. Appuyé sur une béquille, je traîne les pieds vers le lieu indiqué. L’espace exigu et sombre abrite deux jeunes gens et un quinquagénaire. Handicapé moteur, ce dernier a la tête baissée et ne semble pas se préoccuper de mon sort. Les deux autres sont plus sympas. Dix minutes plus tard, je suis rappelé et auditionné en présence de Me André Marie Tassa, un avocat que j’ai joint au téléphone. En vain, puisque son intervention ne change rien à ma situation. L’inspecteur Mbida Mbida refuse de poursuivre l’audition, sans explications. L’arrivée du commissaire de police, chef de cette unité, me redonne espoir. Il me confronte au plaignant. Mais ce dernier s’oppose à l’arrangement à l’amiable proposé par le haut gradé. “Il n’est pas question qu’il sorte d’ici sans me rembourser toute la somme d’argent perçue dans le cadre de cette transaction, sinon je vais le tuer et faire de la prison“, menace Guy Blondel Kakeu. Je suis maintenu en garde à vue.

Une chaleur étouffante

26 personnes entassées dans une cellule voisine de 20 m2 crient à rompre le tympan. Pourtant les policiers demeurent sourds à leurs sollicitations. La chaleur étouffante et l’odeur des toilettes sont insupportables. Une coupure d’électricité prive les lieux d’éclairage. La nuit est tombée à 17 heures. Pas facile d’étancher sa soif ou de satisfaire ses besoins naturels. Les policiers rançonnent les visiteurs qui doivent débourser 500 FCFA. Je décide alors d’engager un nouveau plaidoyer en direction des policiers :”Si je suis gardé à vue, il faut me le notifier. Il est illégal de me priver de ma liberté d’aller et de venir sans aucun mandat ni titre. Je suis là depuis 11 h. Je n’ai pas reçu de convocation. Je ne sais même pas si un mandat d’arrêt a été lancé contre moi. J’ai seulement un différend civil avec M. Kakeu Guy Blondel qui, d’une manière peu élégante, m’a contraint de venir ici, sans aucune qualité d’agent ou d’officier de police judiciaire.” Auparavant, j’ai rappelé Me André Marie Tassa. L’avocat plaide pour ma “relaxe pure et simple”, dénonce l’irrégularité de mon interpellation et de ma garde à vue. “Il est inconcevable que dans une telle situation, un suspect soit interpellé manu militari et conduit au commissariat par le plaignant. Ce n’est pas lui qui commande la police. Elle doit travailler dans le respect du code de procédure pénale et non suivant les désirs du plaignant“, fait remarquer Me Tassa. Il ajoute “qu’un journaliste qui exerce comme coordonnateur régional du quotidien Le Messager, présente des garanties de représentation. Sa garde à vue automatique, juste parce qu’une plainte a été introduite contre lui à cause de sa défaillance dans l’exécution d’un contrat de bail, n’est pas justifiée.” Je suis libéré à 19 h après plusieurs coups de fil de la direction du Messager au commissaire et grâce à la pugnacité de l’avocat. Mais combien de Camerounais ont cette chance ?

Guy Modeste DZUDIE (Jade)

 

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