Un journaliste raconte sa garde à vue à Bafoussam

Embarqué de force au commissariat pour une affaire d’argent, le journaliste Guy Modeste Dzudie a été gardé à vue dans les cellules camerounaises. Il raconte.

Ce 25 novembre 2012, alors que j’attends un taxi au carrefour Madelon à Bafoussam, se gare devant moi une voiture blanche. Guy Blondel Kakeu, l’un des trois occupants, m’invite à le suivre au commissariat. Serein, je m’exécute. “Le voici. Je l’ai pris aujourd’hui“, lance Guy Blondel aux policiers de service en leur faisant une tape amicale. Je n’ai pas encore fini de répondre aux questions du chef de poste qu’un de ses collègues, inspecteur de police, intervient. “On va vous garder, Monsieur ! Vous n’êtes pas de bonne foi“, lance-t-il. “Je ne suis pas de mauvaise foi. Je pourrais être fautif, mais le litige m’opposant à M. Kakeu est civil et non pénal. Vous ne pouvez pas me retenir ici. Nous ne sommes pas dans un cas de flagrant délit. En plus, nous sommes dimanche“, rétorqué-je. Cette mise au point fait monter la moutarde au nez des policiers. “Voulez-vous nous démontrer que vous connaissez le droit ? On va voir alors qui a raison. Allez-vous asseoir au fond du couloir là ! Vous allez y attendre que l’inspecteur Kenfack vienne vous auditionner demain matin. En attendant, le permanencier judiciaire, l’inspecteur Mbida Mbida, est là. Il faut que Monsieur soit entendu, même s’il veut nous démontrer qu’il n’est pas en flagrant délit“, ordonne courroucé un policier. Appuyé sur une béquille, je traîne les pieds vers le lieu indiqué. L’espace exigu et sombre abrite deux jeunes gens et un quinquagénaire. Handicapé moteur, ce dernier a la tête baissée et ne semble pas se préoccuper de mon sort. Les deux autres sont plus sympas. Dix minutes plus tard, je suis rappelé et auditionné en présence de Me André Marie Tassa, un avocat que j’ai joint au téléphone. En vain, puisque son intervention ne change rien à ma situation. L’inspecteur Mbida Mbida refuse de poursuivre l’audition, sans explications. L’arrivée du commissaire de police, chef de cette unité, me redonne espoir. Il me confronte au plaignant. Mais ce dernier s’oppose à l’arrangement à l’amiable proposé par le haut gradé. “Il n’est pas question qu’il sorte d’ici sans me rembourser toute la somme d’argent perçue dans le cadre de cette transaction, sinon je vais le tuer et faire de la prison“, menace Guy Blondel Kakeu. Je suis maintenu en garde à vue.

Une chaleur étouffante

26 personnes entassées dans une cellule voisine de 20 m2 crient à rompre le tympan. Pourtant les policiers demeurent sourds à leurs sollicitations. La chaleur étouffante et l’odeur des toilettes sont insupportables. Une coupure d’électricité prive les lieux d’éclairage. La nuit est tombée à 17 heures. Pas facile d’étancher sa soif ou de satisfaire ses besoins naturels. Les policiers rançonnent les visiteurs qui doivent débourser 500 FCFA. Je décide alors d’engager un nouveau plaidoyer en direction des policiers :”Si je suis gardé à vue, il faut me le notifier. Il est illégal de me priver de ma liberté d’aller et de venir sans aucun mandat ni titre. Je suis là depuis 11 h. Je n’ai pas reçu de convocation. Je ne sais même pas si un mandat d’arrêt a été lancé contre moi. J’ai seulement un différend civil avec M. Kakeu Guy Blondel qui, d’une manière peu élégante, m’a contraint de venir ici, sans aucune qualité d’agent ou d’officier de police judiciaire.” Auparavant, j’ai rappelé Me André Marie Tassa. L’avocat plaide pour ma “relaxe pure et simple”, dénonce l’irrégularité de mon interpellation et de ma garde à vue. “Il est inconcevable que dans une telle situation, un suspect soit interpellé manu militari et conduit au commissariat par le plaignant. Ce n’est pas lui qui commande la police. Elle doit travailler dans le respect du code de procédure pénale et non suivant les désirs du plaignant“, fait remarquer Me Tassa. Il ajoute “qu’un journaliste qui exerce comme coordonnateur régional du quotidien Le Messager, présente des garanties de représentation. Sa garde à vue automatique, juste parce qu’une plainte a été introduite contre lui à cause de sa défaillance dans l’exécution d’un contrat de bail, n’est pas justifiée.” Je suis libéré à 19 h après plusieurs coups de fil de la direction du Messager au commissaire et grâce à la pugnacité de l’avocat. Mais combien de Camerounais ont cette chance ?

Guy Modeste DZUDIE (Jade)

 

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