Archives pour la catégorie Cameroun

Le bois de la discorde

Frais d’abattage des arbres non payés, projets sociaux oubliés : les communautés locales ont bien du mal à faire respecter leurs obligations aux entreprises qui exploitent leurs forêts. “Elles n’en ont jamais assez”, objectent les professionnels.

A Melombo (village situé à environ 75 km de Yaoundé), une dizaine de troncs d’arbres abattus sont abandonnés en plein air dans la forêt. À la merci des intempéries, ils ont pourri et sont recouverts de moisissure blanche. “Ces billes de bois ont été abandonnées ici par un exploitant forestier que nous avons sommé de quitter notre forêt parce qu’il ne respectait pas le contrat notarié qui nous liait“, indique Rémy Nyada Ndi, le vice-président du Groupe d’initiatives communes (Gic) de la communauté villageoise Melombo Okekat Faekele (Covimof), une organisation rurale propriétaire d’une forêt communautaire. L’exploitant forestier devait verser 10 à 20 000 FCFA par arbre abattu à la communauté locale. “Il retardait les paiements ou ne s’acquittait pas de ces frais“, s’insurge le responsable de la communauté. Les villageois dénoncent également un abus de confiance. “Il utilisait nos lettres de voiture pour exploiter ailleurs, des essences qu’il ne trouvait pas ici“, affirme Rémy Nyada Ndi.

Soupçonnée de complicité

Conséquence de cette supercherie, le ministère des Forêts et de la Faune (Minfof) avait retiré l’agrément de la Covimof. “Cet homme se servait de notre certificat d’exploitation pour se livrer à des trafics de toutes sortes. Nous avons été suspendus parce que nous étions accusés d’être ses complices“, se plaint Rémy Nyada Ndi. La Covimof a clamé son innocence. “Pendant plus d’une année, nous ne pouvions pas exploiter notre forêt“, explique Amougou Amougou Etienne, le délégué de la Covimof. Finalement, après des vérifications effectuées sur le terrain par la Brigade nationale de contrôle (BNC) du Minfof et l’observateur indépendant de l’ONG REM (Resource Extraction Monitoring), le certificat d’exploitation a été restitué. Les contrôleurs ont constaté que “les bois abattus dans la forêt de la Covimof ont été évacués sous forme de grumes” alors que c’est interdit dans les forêts communautaires. Autre difficulté, la communauté locale a dû saisir le préfet pour pouvoir récupérer les lettres de voiture qu’elle avait accordées à l’exploitant, l’autorisant ainsi à transporter du bois.

“Les populations ne sont jamais satisfaites”

Nkolmetet, village voisin, a aussi connu des conflits. En 2007, le délégué régional du ministère a saisi la cargaison de bois d’un exploitant forestier qui n’avait pas respecté son cahier des charges, à savoir la construction d’un puits d’eau en faveur des villageois. “Les populations voulaient en découdre. Nous avons sollicité l’intervention de l’autorité administrative pour régler le problème“, se souvient Julien Steve Mvondo, un responsable du Groupe d’initiatives communes Oyenga. Responsable du bureau d’exploitation à la Société camerounaise de transformation du bois (SCTB), Hilaire Noutack, rejette ces accusations qui accablent les exploitants forestiers : “Les populations n’ont pas toujours raison. Elles ne sont jamais satisfaites et exigent toujours plus, même quand nous respectons nos cahiers des charges“. Si elle dénonce elle aussi les abus des exploitants, Mireille Fouda Effa, chargée de communication au Centre pour l’environnement et le développement (CED), pointe aussi un doigt accusateur en direction des chefs de communautés locales. “Généralement, quand nous nous rendons sur le terrain pour vérifier ce type d’abus, on constate que le chef du village ou une autre élite, a reçu de l’argent qu’il n’a pas reversé aux autres membres de la communauté“.

Anne MATHO (JADE)

 

ENCADRE 

"On attribue une forêt communautaire pour relever le niveau de vie de la communauté" 

Lucien Mvondo, gestionnaire de forêt communautaire ayant une bonne maîtrise des procédures, explique le processus d'acquisition et de gestion d’une forêt communautaire. 

Que faut-il pour bénéficier d’une forêt communautaire ?

Lucien Mvondo : L’attribution d’une forêt communautaire nécessite d’abord la volonté de la communauté. Celle-ci doit être constituée en Gic, Groupe d’initiatives communes, et manifester son souhait par une demande adressée à l’administration des forêts. Cette demande est transmise par l’administration des départements. Quand les études parviennent au ministère des Forêts, on vérifie que les études ont été bien menées. On attribue une forêt communautaire pour relever le niveau de vie de la communauté. 

Y a-t-il des documents spécifiques à fournir ?

Lucien Mvondo : Il faut une entité juridique agréée par le ministère de l’Agriculture. Et aussi des réunions de concertation, une étape qui peut prendre des mois. La communauté doit être suffisamment informée de ce qu’elle va faire, de la raison d’être de cette affaire, maîtriser les lois et les règles en vigueur. Une fois cette étape terminée, a lieu une réunion de concertation, présidée par le préfet du département. Cette réunion consiste à recueillir l’adhésion massive des populations. 

Quand les populations, devant le préfet, acceptent de gérer une forêt communautaire, le préfet et les cinq services départementaux signent un document qui leur donne le droit de déposer une demande au ministère. Cette demande vise à obtenir la réservation de la zone sollicitée. Lorsqu’elle est acquise, il faut faire un inventaire de cette zone. Le service de cartographie vient alors la délimiter et un autre service chargé de l’inventaire, entre en jeu. Quand l’inventaire est fini, on élabore le plan simple de gestion. Ce plan est soumis au ministère de la Forêt. Quand le ministère atteste que ce plan simple de gestion a été légalement élaboré, l’attribution de la forêt communautaire est faite. 

Quel est le coût du processus ?
Lucien Mvondo : Ce qui coûte très cher dans cette affaire, ce sont les études socio- économiques, et puis l’inventaire systématique. Cet inventaire qui nécessite vraiment un travail sur le terrain, coûte des millions. 

Entretien réalisé par Hugo TATCHUAM (JADE)